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BOUGER LES LIGNES - C. Galactéros

LE FIGARO - Crise entre Berlin et Ankara : Erdogan défie l'Europe en son coeur

9 Mars 2017 , Rédigé par Caroline Galactéros Publié dans #Figaro, #Europe, #Turquie

LE FIGARO - Crise entre Berlin et Ankara : Erdogan défie l'Europe en son coeur

Suite à l'annulation de meetings de membres de son gouvernement en Allemagne, le président turc a parlé de « comportements nazis ». Ces provocations montrent que sur la scène internationale, l'Europe n'impresionne plus.

Céder au chantage ou à l'intimidation ne rapporte jamais rien et surtout pas la liberté ou la paix. Tant que l'on croit pouvoir s'en sortir en complaisant aux quatre volontés du maitre chanteur, celui-ci triomphe, nous méprise et nous humilie.

Le néo-sultan d'Ankara a perdu son sang-froid. Il a vociféré, éructé grossièrement d'innommables insultes à l'adresse de l'Allemagne qui, dans un éclair de lucidité, en interdisant quelques meetings visant à mobiliser les Turcs d'Allemagne en faveur de la réforme constitutionnelle qui doit parachever le 16 mars prochain, la mainmise du président Erdogan sur tous les rouages institutionnels du pouvoir, osait brider son offensive politique interne portée sans vergogne sur le sol germanique. Une « démocrature islamique » ouvertement conquérante et délirante est donc en train de s'installer à nos portes, qui tient nos Etats pour quantités négligeables, simples aires d'intimidation offertes à la mégalomanie de son chef via l'instrumentalisation de communautés immigrées transformées malgré elles en armes politiques au service du grand dessein sultanesque… Et nous, Européens placides, iréniques et indécrottablement confiants en l'avenir, poursuivons benoitement avec elle un «dialogue» sur son adhésion éventuelle à l'UE et, -à prix d'or-, un «partenariat» migratoire qu'elle menace de rompre à chaque instant si on ne lui passe pas tous ses dangereux caprices. Comment une telle agression turque, aussi soudaine qu'infâmante, a-t-elle été possible au cœur du Vieux continent, en son centre politique et économique ? Sans doute parce que l'Europe est faible, divisée, inquiète de la pression migratoire qui angoisse ses peuples et menace ses politiciens. Et elle nie cette réalité et préfère payer le prix croissant de son insondable naïveté structurelle.

Face à notre pusillanimité, le président turc démontre qu'il ne considère finalement l'Europe que comme un espace lâche où dépérissent des nations identitairement avachies qui renoncent à elles-mêmes

La faiblesse, le laxisme, l'aveuglement ne font pas une politique. Et n'ont aucune chance de permettre l'apaisement. Celui qui est à l'offensive profite juste de notre naïveté timorée. Les failles de l'acclimatation déficiente des populations musulmanes aux lois, valeurs, et pratiques démocratiques - ici allemandes mais tout autant françaises-, sont devenues des gouffres béants sous nos pieds qui promettent des affrontements gravissimes quand, bien trop tard, nous nous aviserons enfin de répondre à une provocation de trop. Le président Erdogan porte le fer au flanc d'une Europe qui le craint et croit avoir besoin de lui pour refouler des populations migrantes qu'elle n'ose pas déclarer indésirables pour rester fidèle à ses généreux principes. Ceux-ci sont pourtant devenus de dangereuses chimères dans le contexte sécuritaire actuel d'un affrontement civilisationnel instrumentalisé par des groupuscules ultraviolents, mais aussi par des Etats prosélytes qui repoussent les frontières de la coexistence pacifique pour pratiquer l'ingérence agressive. Le néo-sultan qui veut -et qui va parvenir à- concentrer entre ses mains tous les pouvoirs constitutionnels au sortir d'un référendum qu'il ne peut perdre, sera le maitre bientôt absolu d'un pays en crise économique dont les ambitions géopolitiques sont désormais mises à mal par un rapprochement russo-américain en Syrie où le bon sens semble étonnamment plus présent que dans les couloirs du Pentagone ou même du Congrès.

Si Erdogan montre les dents, c'est aussi parce qu'il est actuellement en position de faiblesse stratégique relative dans un jeu infiniment plus large que son seul rapport aux Européens.

Car, depuis la reprise en main et la purge massive déclenchée par le pouvoir après le coup d'Etat avorté du 15 juillet 2016, le pays parait sur une ligne de crête étroite qui peut faire basculer le régime du président Erdogan vers le meilleur ou le pire. A l'intérieur, la crise économique et sociale s'installe, avec un effondrement de 20% de la livre turque depuis un an, une inflation et un chômage en hausse sensible et un effondrement du tourisme ; sans parler des attentats islamistes et de la polarisation croissante de la société, certes voulue par le régime pour s'imposer, mais qui débouche sur une fébrilité sociale qui n'a pas que des avantages pour « le Palais ».

A l'extérieur, l'opération « Bouclier de l'Euphrate » patine et Erdogan voit ses calculs territoriaux et d'influence compromis sur le théâtre syrien.

La France, pour s'être trop longtemps fourvoyée dans des postures et des positions dogmatiques, n'est malheureusement plus audible au Moyen-Orient.

Pour en revenir à la relation turco-européenne, l'heure est à la décision. La France, pour s'être trop longtemps fourvoyée dans des postures et des positions dogmatiques et inefficaces qui l'ont presque totalement « sortie du jeu » syro-irakien, n'est malheureusement plus audible sur le dossier syrien comme, d'une manière générale d'ailleurs, au Moyen-Orient. C'est très grave et notre prochain Président devra s'atteler sans attendre à la refondation d'une politique étrangère digne de ce nom et propre à faire de nouveau entendre et compter notre voix sur la scène du monde. Elle reste cependant une puissance européenne majeure. Un sursaut de lucidité et de pragmatisme devrait conduire Paris à apporter un soutien sans équivoque à notre allié allemand face aux vociférations infâmantes du président Erdogan. Au-delà, il est grand temps pour l'ensemble des Européens de refuser l'intimidation et le chantage turcs et d'exprimer unanimement leur solidarité avec Berlin en décidant de clore immédiatement et définitivement ce processus d'adhésion devenu inenvisageable même à très long terme. Consentir à poursuivre ce dialogue qui n'est qu'un marché de dupes, trahit notre faiblesse politique et culturelle, et démontre dramatiquement combien les dirigeants européens sont à contretemps du nouveau monde et de ses enjeux civilisationnels et identitaires, qu'il ne s'agit plus de nier mais de structurer au profit de la coexistence pragmatique et respectueuse de nations raffermies.

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V
Une analyse plus émotionnelle que je ne lis habituellement chez vous. Cet article critique beaucoup de monde (l'Erdogan vociférant, les nations européennes avachies) pour nous suggérer in fine la seule conclusion possible que je partage: un avachi reste avachi tant qu'il n'a pas su faire l'effort nécessaire pour sortir de son avachissement. Et le fait que l'Allemagne (comme la France d'ailleurs) est remplie de turcs et d'autres musulmans que seul le paraisseux ne tenterait de manipuler le moment venu n'est pas le résultat des politiques d'un Erdogan perfide, mais des politiques néfastes des européens chez eux.
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B
Excellente analyse, comme toujours, merci!<br /> L'Europe ne semblant toujours pas prête à renoncer aux influences atlantistes d'expansion vers l'est, le processus moribond d'adhésion de la Turquie à l'EU risque malheureusement d'être encore longtemps (et à prix d'or) maintenu sous perfusion.
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