LE POINT - Présidentielle : tenir ou boire le calice jusqu'à la lie
Tenir le choc pour l'amour de la France, par amour pour notre pays et refus de le voir s'abandonner au vertige mortel du renoncement à lui-même. Nulle grandiloquence dans cette exhortation, mais une souffrance ressentie devant un tel gâchis et une inquiétude tangible devant la gravité de la crise actuelle ouverte par « l'affaire » touchant François Fillon, en pleine campagne présidentielle et dans un contexte sécuritaire national fortement dégradé.
L'hallali avait été sonné. La meute s'était rapprochée, l'acier de la dague meurtrière brillait d'un éclat funèbre et le coup de grâce, triste ironie, allait lui être donné par ses propres « alliés » impatients, ses « proches », ses « amis »… Et puis il y a eu le rassemblement du Trocadéro du 5 mars, l'évidence d'un socle électoral fort et résilient et, surtout, celle d'un écœurement d'une bonne part de l'électorat de droite contre le hold-up démocratique de son vote pourtant sans équivoque.
Stop aux intrigues !
Les manœuvres et manigances sont tout ce qu'exècre notre peuple. C'est précisément ce qu'il reproche à notre classe politique qui vit en vase clos et donne souvent le spectacle d'un opportunisme au petit pied, si loin du sens de l'État, de l'ampleur des enjeux, sourde au besoin d'authenticité, de responsabilité et de constance dans l'engagement de nos concitoyens. C'est aussi ce qui le pousse dans les bras de l'extrême droite. La victoire, à la guerre, est affaire de forces morales et nous en avons manqué, pour le moins. La droite devrait avoir la honte au front de ne pas avoir su faire front dès l'amorce de l'offensive et d'avoir hurlé avec les loups, allant jusqu'à imputer à la victime la responsabilité de la crise au lieu de contre-attaquer et de vaincre à ses côtés. La panique, la désertion, l'onde de choc communicative de la faiblesse de caractère : tout cela est ordinaire, mais affligeant, inquiétant et révélateur d'une crise politique, certes, mais surtout d'une crise du politique et du leadership.
Mais, en se laissant aller au sacrifice expiatoire du bouc émissaire de pratiques politiques si répandues – qui doivent évidemment disparaître pour répondre à l'exigence légitime d'exemplarité –, la droite n'a pas fait qu'exposer sa fébrilité et ses divisions. Elle a révélé une légèreté et une désinvolture confondantes vis-à-vis de ce qui doit être le cœur même de la campagne : le programme ! À l'occasion de cette « affaire », en effet, éclate un autre scandale plus grave encore : celui de l'indifférence manifeste d'une grande partie des élus aux véritables enjeux du redressement national. Comment, en effet, imaginer que la solution se trouve dans « un plan B », dans « un successeur », qui évidemment, quel qu'il soit, n'aurait pas (du tout) le même programme ? Quel déni de démocratie ! C'est le projet de François Fillon qui a été approuvé par 66,5 % des électeurs de la primaire de la droite et du centre. Aucun autre. Un programme difficile, un programme exigeant, un programme salutaire.
Ambiance délétère
Il faut dire que ce global affaissement du politique est, partiellement au moins, le résultat d'une ambiance délétère favorisée par un pouvoir qui, au plus haut niveau, entretient avec jubilation le double mythe de la vacance du pouvoir et du pouvoir en vacances et entre en convergence avec l'appétence de nos médias pour le ressassement « des petits côtés » de la politique plutôt que pour l'évocation des grands enjeux nationaux. Comme s'il n'y avait plus rien à faire, comme si on devait juste « expédier les affaires courantes » en observant la médiocrité du « casting » de la relève et en pontifiant sur l'indépendance de la justice qui naturellement n'a rien à voir avec le calendrier électoral…
On prend les Français pour des imbéciles. Ce n'est plus une ficelle, c'est une corde épaisse qui les « ravit » au sens propre du terme et mobilise toute leur attention sur presque rien pour escamoter un bilan gouvernemental catastrophique et un programme fantomatique. En fait, sous une apparente désinvolture, comme si plus rien ne comptait et n'avait de sens ou de valeur, l'actuel président de la République a mis habilement sous tension le pays tout entier depuis des mois déjà. Sous hypotension, pour être exact. Sous camisole démagogique.
Après des années d'aventurisme tous azimuts qui ont mis la France en état de très grande vulnérabilité financière et stratégique, tout est fait pour désorienter les Français, les perdre, les inquiéter, les dégoûter, pour ravaler leur niveau de conscience politique, pour focaliser leur jugement et concentrer leur indignation sur le dérisoire, le microscopique, l'immédiat, le « scandaleux » ; pour faire en sorte qu'ils ne sachent à quel saint se vouer, progressivement convaincus de la médiocrité et de l'impuissance de leur classe politique tout entière. Une stratégie de l'abaissement, irresponsable, qui fait peu de cas de la gravité de notre situation économique et sociale et qui instrumentalise sans vergogne l'exaspération populaire montante devant le mépris gouvernemental pour les inquiétudes des Français qui voient leurs perspectives personnelles se dégrader et leur pays se laisser marginaliser sur la scène mondiale.
Un paysage en recomposition
Ainsi, tandis que se recomposent les grands équilibres autour notamment du sort de l'Eurasie ou de celui du Moyen-Orient, nous restons en Europe – et singulièrement en France – mentalement et idéologiquement fossilisés. Quand on lit la toute récente note du CAPS (le Centre d'analyse, de prévision et de stratégie du Quai d'Orsay) sur notre politique souhaitable en Syrie qui a « fuité » dans la presse au grand dam du ministère, on se dit qu'on est effectivement à mille lieues d'une intelligence stratégique constructive propre à l'apaisement d'un Levant à feu et à sang.
Pour nourrir le conflit syro-irakien et mettre du sel sur toutes les plaies ouvertes levantines, le mode d'emploi est, en revanche, imparable. L'indigence de notre niveau d'analyse de la situation au Moyen-Orient et de ce que sont nos intérêts nationaux dans cette zone comme ailleurs nous promet une relégation diplomatique et stratégique durable lourde de menaces internes et externes. Tout cela par pure idéologie, pour ne pas se dédire, pour ne pas renoncer à nos chimères, pour soutenir des alliés « arabes sunnites » auxquels nous semblons avoir vendu notre âme sans ciller et sans contrepartie. Tout cela pour ranimer le cadavre d'une vision punitive stupide des relations internationales, moribonde partout sur la planète mais toujours sous respiration artificielle au seul Quai d'Orsay !
Pourtant, sur le théâtre du monde comme sur la scène politique nationale, l'exigence première est la même : regarder le monde en face, tel qu'il est, cesser de le rêver sans renoncer à y exercer une influence bénéfique, s'attacher enfin « au fond », à la cohérence et à l'efficacité, et porter au pouvoir des hommes capables de résister aux pressions, de mettre en pratique leurs convictions, de se battre pour imposer nos intérêts, de convaincre, d'être craints donc respectés et suivis, différents et surtout pas « normaux ». Capables de gouverner non pas autoritairement mais avec autorité, enfin.
Des ruptures attendues
On doit regretter que, face à l'entreprise de déstabilisation politico-juridico-médiatique du candidat de droite, qui portait, comme par hasard, le seul programme de rupture et de redressement national crédible – donc menaçant pour le pouvoir en place – , se soit presque enclenchée une « prophétie auto-réalisatrice » conduisant à son « lâchage » empressé par les siens. Ce processus suicidaire semble enrayé et il n'est pas trop tard. « La France est plus grande que mes erreurs », a dit François Fillon le 1er mars. C'est un appel à reprendre ses esprits et à se rassembler sans plus de failles. Sinon, c'est la défaite assurée. Posons-nous enfin les bonnes questions : Que veut-on pour notre pays et quel est l'homme assez courageux, animé d'un sens de l'intérêt général et national, assez déterminé, enfin, pour porter cette ambition ?
De la même façon qu'on ne « gère » pas un pays mais qu'on le gouverne, les hommes ne sont pas interchangeables. Pas du tout. Pas encore, faut-il craindre. Dieu merci. « Trouver un successeur » n'est simplement pas possible. On pourrait faire mine de trouver un éventuel ersatz pour enrayer le vent de panique interne. Mais tous ceux qui ont manifesté au Trocadéro n'ont pas l'air inquiets pour les mêmes motifs que certains ténors de la droite prompts à prendre le large. Ils attendent du sang-froid. Ils attendent que la droite démontre sa détermination à ne pas se laisser faire ni abattre si facilement et surtout qu'elle serre les rangs derrière le candidat qu'ils ont clairement adoubé et qui seul veut lancer le chantier d'un redressement national urgentissime.
Un seul « plan B » : l'union
La seule évocation d'un « plan B » qui doit encore tenter bien des paniquards serait une calamité que nos adversaires politiques attendent et qui aurait, n'en doutons pas, un redoutable effet boomerang électoral en faisant le jeu de Marine Le Pen – qui profiterait massivement de la grande frange des écœurés parmi les électeurs de François Fillon – et celui d'Emmanuel Macron – qui recueillerait une bonne part du vote des juppéistes.
L'impressionnant courage et la dignité avec lesquels François Fillon résiste depuis un mois à l'incroyable manœuvre de diversion qui vise, au-delà sa personne, à faire imploser la droite entière, imposent de le soutenir. Par conviction et/ou par intérêt. La pugnacité sereine avec laquelle il défend son honneur rassure magistralement sur sa capacité à défendre la France demain sur la scène internationale, mais aussi sur sa volonté à s'atteler à améliorer le sort de chaque Français. C'est à chacun de nous qu'il s'adresse avec simplicité. Il a commis une erreur, certes. Ce serait une faute lourde – vis-à-vis de nous comme de ses convictions profondes – de renoncer à son projet : sortir la France de l'ornière et la replacer à son rang légitime dans l'ordonnancement d'un monde en pleine tourmente.
Tenir la barre contre vents et marées sans se croire invulnérable ni mésestimer vents et courants : n'est-ce pas une personnalité de cette trempe dont notre pays, abandonné au seuil de l'abîme par des gouvernants irresponsables et sans vergogne, a désormais besoin ?