FIGAROVOX - Nicolas Sarkozy et la France : un mariage de cœur sous conditions
FIGAROVOX/ANALYSE - Nicolas Sarkozy s'engage officiellement dans la bataille des primaires, face à Alain Juppé notamment. Pour Caroline Galactéros, un «Tout sauf Sarkozy» serait néfaste pour la France, qui n'a pas besoin d'une seconde «présidence normale».
Puisque tout est clair désormais, la primaire de la droite sera sans merci. Les dagues s'aiguisent, les lames s'affûtent, les complots s'ourdissent, les ralliements tactiques se manigancent. Du canif à l'épée, par jalousie, ressentiment, dépit, ambition ou, pour certains, par sincère conviction de porter une compétence et un projet alternatif crédible pour notre pays, chacun des rivaux de l'ancien président de la République rêve d'un hallali sanglant. Ils pourraient bien d'ailleurs se liguer dans un nouveau «Tout Sauf Sarkozy» … Tout en préparant, chacun, leur ralliement ultime, au prorata de leur capacité de nuisance, de représentativité interne ou d'influence. Quand la messe sera dite bien sûr, quand la primaire aura révélé l'ampleur de la charge affective et du capital d'espérance que porte la candidature de l'ancien président. Car il ne faudrait pas se tromper de nouveau d'ennemi et jouer contre la France.
Il ne faudrait pas se tromper de nouveau d'ennemi et jouer contre la France.
La bronca anti-Sarkozy, notamment au centre droit, qui a permis l'étroite victoire de François Hollande en 2012, a été une véritable calamité pour notre pays. Qui osera prendre la responsabilité de répéter cette erreur et de plonger la France dans l'abaissement définitif d'un second mandat socialiste ou d'un fade avatar de droite? Ceux de ses principaux rivaux qui seraient tentés de s'allier à son challenger «majeur», par rancune ou chagrin d'avoir été peu considéré, injustement traité, ont l'intérêt national chevillé au corps, je le sais. Et une vision forte pour l'avenir de la France. Un tel ralliement condamnerait ce projet à n'être jamais mis en œuvre. Ils ne peuvent donc, en conscience, laisser leurs seules émotions guider un choix qui n'irait pas dans le sens de l'intérêt supérieur de la Nation. Le dogmatisme mou n'est pas une politique, le renoncement ou la compromission identitaire serait notre perte. L'immobilisme nous a déjà coûté infiniment trop cher. Tel le malheureux âne de Buridan, qui meurt de faim et de soif à force d'hésiter entre l'eau et l'avoine, la procrastination politique systémique expose gravement la France à un déclassement de puissance sur tous les plans. Poursuivre dans cette voie pendant encore cinq ans serait criminel et irrattrapable. Intolérable.
Mais c'est tout sauf une fatalité. Car le peuple français, qui n'est pas une simple «population» composée d'agrégats communautaires crispés et sans âme, a soif de vérité et d'action, de renaissance et d'horizon, de gloire et d'effort collectif. Il ne supporte plus «la pensée magique», martingale éventée d'une gauche qui se paie de mots et de postures martiales (tel le nouveau «refaire France» aussi indigent que creux) au lieu d'agir, et le laissent orphelin d'autorité, de responsabilité et in fine de sécurité et de liberté. Certes, notre peuple est un peu comme un enfant. Il veut tout et son contraire, la vanille et la fraise, et croit pouvoir sortir de l'ornière où l'ont jeté l'incurie et la démagogie socialistes sans efforts ni sacrifices. Il veut conserver son «modèle social unique au monde» (qui prend l'eau par tous les bouts) sans voir qui finance cet eldorado ; il conspue «les riches» tout en les tondant sans trêve, ne comprend toujours pas que le travail est créé par l'entreprise, le risque, le capital et accessoirement … l'entrepreneur ; il nourrit sa passion égalitaire sans comprendre qu'il vivra bientôt d'amour et d'eau fraîche, que le monde entier nous regarde sans plus nous envier, comme une curiosité pathétique, un village gaulois indécrottablement coupé de la brutalité laborieuse de la planète et de sa violence insigne qui a pris racine sur notre territoire, croît et embellit grâce à notre angélisme confondant.
Les bonimenteurs ne passent plus la rampe, les forains haranguent à vide, la « normalité » a fini par nous écœurer.
Mais comme l'enfant aussi, qui recherche la règle qui l'encadre et lui permet de grandir, notre peuple commence à ouvrir les yeux ; les bonimenteurs ne passent plus la rampe, les forains haranguent à vide, la «normalité» a fini par nous écœurer. Car cette crédulité enfantine, qui a longtemps fait l'affaire des démagogues, s'est fracassée sur les brisants de la violence terroriste, sur les cadavres de nos concitoyens, sur les atermoiements d'une gauche qui s'indigne et prend des poses mais n'agit pas, laissant monter le populisme et advenir «la guerre civile» qu'elle prétend vouloir conjurer.
Notre prochain Président devra être capable « d'aller au choc », sans craindre l'impopularité.
Les Français donc sont mûrs. Ils sont prêts. Prêts à certains sacrifices aussi, pour sortir notre patrie de la situation de faillite économique et identitaire qui l'asphyxie. Prêts si l'on inverse vraiment, concrètement, sans mollir, tous les curseurs de l'action politique. Ils sentent qu'on ne peut plus attendre, que nous sommes au bord du volcan et que la lave monte. Qu'il va falloir y passer… pour ne pas y passer. Que notre prochain Président devra être capable «d'aller au choc», sans craindre l'impopularité, de forcer - sans concertation ni ratiocinations interminables - des réformes cardinales et drastiques dès son élection. Puis il devra tenir bon, les rênes bien en main, sans craindre «la rue», et ne pas se rendre devant l'immanquable montée des corporatismes divers qui n'ont que faire de l'intérêt supérieur de la Nation ou de celui du peuple d'ailleurs, et n'ont en ligne de mire que leur bol de soupe. Réformes économiques, sociales, éducatives, de politique étrangère et de défense, de renseignement, de sécurité, de justice: Il faut tout, absolument tout reprendre, tout refonder. Et nous en avons les moyens. Si vous osez le faire, Monsieur le Président, la vraie popularité et même la gloire devant ce courage dont plus personne n'ose même rêver, seront au rendez-vous.
Il faut à Nicolas Sarkozy reconnaître, haut et clair, des erreurs d'évaluation, de jugement au fond sur certains dossiers, et certaines décisions hâtives.
Mais votre principal handicap n'est pas là. Il est dans l'argument tenace et systématique que l'on se voit opposer lorsqu'on rappelle votre énergie, votre solidité, votre amour de la France, votre claire conscience des défis qui se dressent devant elle: «Mais pourquoi ne l'a-t-il pas fait lorsqu'il était au pouvoir»? Et la Libye? et la Syrie? et l'Atlantisme naïf, et le retour dans l'OTAN contre presque rien? Et l'alignement sur les monarchies sunnites pétrolières qui nourrissent le djihad mondial depuis plus de trente ans? Je ne mentionne pas même ici la frustration, l'incompréhension devant les atermoiements en matière économique et sociale, ou les arbitrages à contretemps en matière de défense et de sécurité, etc. On peut objecter le gouffre classique entre «la conquête» et «l'exercice du pouvoir», la crise financière mondiale dès 2008, rappeler d'indéniables succès sur bien d'autres fronts, invoquer à juste titre le fait que le monde a changé depuis 10 ans, qu'une accélération de sa dangerosité s'est produite qui rebat toutes les cartes. Tout cela ne suffira pas à désarmer cette hostilité éruptive et vénéneuse. Il vous faut reconnaître, haut et clair, des erreurs d'évaluation, de jugement au fond sur certains dossiers, et certaines décisions hâtives, poursuivies à partir de 2012 et qui, aujourd'hui, notamment au Moyen-Orient, paralysent notre intelligence de situation et notre marge de manœuvre. Car ces décisions - ou non décisions -, ont scellé la déception populaire comme d'ailleurs celle d'un certain nombre d'élites économiques et/ou simplement patriotes aujourd'hui désorientées et inquiètes. Et ces déceptions sont les verrous mentaux qui hypothèquent votre victoire. Elle sera largement à ce prix.
La France a tant d'atouts, mais aussi tant à faire pour retrouver sa place unique dans le concert international.
Pourtant la France a tant d'atouts, mais aussi tant à faire pour retrouver sa place unique dans le concert international. Il lui faudrait assumer une posture enfin réaliste, médiatrice, à rebours du moralisme étroit et à contre-emploi dans lequel elle s'est enfermée et dont l'échec sanglant s'expose urbi et orbi. Il lui faut se rapprocher très vite et sans ambages de la Russie ; rebâtir une alternative stratégique européenne à l'Alliance atlantique, retrouver sa voix en Afrique dans des partenariats équilibrés et désinhibés, au lieu de céder à une repentance qui fait le jeu de nos rivaux ; cesser de réduire sa politique étrangère à un activisme humanitaire à courte vue ou à une prétendue «diplomatie économique» qui nous réduit au rôle d'obligés voire de supplétifs de nos clients!
La France n'a pas le temps de voir un nouvel homme politique, même valeureux, perdre deux ou trois ans à « découvrir le job ».
Reconnaître ses erreurs est la marque d'une véritable force morale et intellectuelle. La faiblesse et le danger sont dans l'esquive. La France n'a pas le temps de voir un nouvel homme politique même valeureux, même compétent, perdre deux ou trois ans à «découvrir le job», à prendre ses marques, à connaître ses homologues, à éprouver sa marge de manœuvre, à comprendre qu'il doit, pour agir et réformer enfin ce pays et le faire renaître, faire preuve d'une très ferme autorité vis-à-vis de ses ministères, à tâtonner pour structurer enfin une politique étrangère digne de ce nom: ambitieuse, pragmatique et conséquente. Nous ne pouvons pas nous permettre de choisir un homme qui doive «essuyer les plâtres» de la fonction présidentielle. Nous n'avons plus le temps de l'improvisation et des ratures. Il faut à notre pays un homme d'expérience qui ait la trempe d'un chef de guerre, qui voit loin, vise haut et sache manifester la profondeur affective de son attachement à la France et son engagement à s'y dédier corps et âme. Contrairement aux censeurs en chambre qui confondent pusillanimité et mesure, tiédeur et sang-froid, je tiens l'affectivité pour un moteur décisif de l'action politique de haut niveau. Les hommes d'État doivent ressentir pour comprendre et agir. Pour trouver des alliés aussi. L'intellect et le calcul ne suffisent pas. Avec un tel cahier des charges, le casting est vite fait. Il n'y a pas quinze candidats, mais un seul.
Notre pays, depuis quatre ans si malmené, si chahuté, si sciemment divisé et exposé - au nom d'utopies égalitaristes et multi-culturelles parfaitement inadaptées à la dangerosité de la menace intérieure et extérieure -, a donc besoin d'un homme d'expérience, mais aussi d'un homme lucide et humble sur ce qu'ont pu être ses erreurs passées. Un homme qui ait appris et grandi plus que «changé».