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BOUGER LES LIGNES - C. Galactéros

Interview de Zohrab Mnatsakanyan, ministre des Affaires étrangères arménien 3/3

11 Février 2020 , Rédigé par Caroline Galactéros

 Interview réalisée par Caroline Galactéros* à Erevan, le 8 octobre 2019

C.G. : «Comment analysez-vous simplement l’état actuel des relations internationales?» Une question très simple, à l’échelle mondiale et surtout en ce qui concerne la coopération, la confrontation entre les États. L’Arménie est au centre d’une grande confrontation, comment évaluez-vous son rôle dans l’évolution mondiale de l’équilibre des pouvoirs?

Zohrab Mnatsakanyan : Votre question est extrêmement complexe. Elle concerne le défi quotidien pour notre gouvernement, ou le ministère des Affaires étrangères, et je pense qu’elle concerne chaque nation aujourd’hui, parce que dans une période de changements profonds nous traversons évidemment une phase où il y a une réévaluation de certaines modalités et de relations établies. Nous sommes bien sûr entrés dans une phase – notre indépendance – à une époque d’optimisme ; optimisme pour une nouvelle ère, pour des libertés. Nous sommes devenus un État indépendant à la suite de notre mouvement national pour l’indépendance et ce n’était pas exactement le résultat automatique de l’éclatement de l’Union soviétique ; notre indépendance et notre libre mouvement ont commencé plus tôt. Et bien sûr, nous avons adopté cet optimisme lorsque nous avons commencé à bâtir notre indépendance, notre État-nation et notre souveraineté. Nous avons choisi un modèle pour cela, un modèle européen typique qui est basé sur la liberté. Nous avons fait des erreurs sur la voie, mais l’évolution de notre souveraineté, combinée à l’évolution de nos priorités de politique étrangère, a suivi précisément les besoins de la souveraineté de notre nation. Des questions telles que la démocratie et les droits de l’Homme avaient une certaine valeur, mais aujourd’hui elles semblent être la monnaie courante. Je pense que c’est extrêmement dangereux.

L’autre point est que les rivalités mondiales sont devenues un grand défi, particulièrement pour les petits États. Un petit État construit sa sécurité nationale selon une certaine logique, qui est façonnée par des menaces spécifiques et des défis spécifiques à sa sécurité. Et c’est exactement ce que nous faisons depuis vingt-huit ans. Nous devons nous assurer de savoir comment évaluer soigneusement la méthode de maintien de la consolidation de notre architecture nationale de la sécurité. Et c’est un défi extrêmement grand en période de flux, et c’est évidemment un moment où les prédictions deviennent très difficiles. Les rivalités mondiales sont évidemment une contrainte pour les petits États. En fait pour nous, en tant que nation, qui doit évaluer avec soin son degré d’absorption des rivalités données et l’absorption des conflits dans notre capacité nationale. Nous comptons beaucoup sur un multilatéralisme efficace, et c’est un terme qui est ambitieux et que nous sommes prêts à poursuivre. Nous sommes heureux que notre partenaire important et ami, la France, ainsi que l’Allemagne, soient de grands partisans du maintien du multilatéralisme.

Nous bénéficions également du multilatéralisme régional. Je pense que nous bénéficions du cadre multilatéral européen très avancé et bien structuré qui comprend une intégration avancée des membres au sein de l’Union européenne. Nous travaillons en étroite collaboration sur la façon d’expliquer plus précisément comment nous construisons notre architecture de sécurité nationale. Mais en dehors de l’Union européenne, je pense que nous bénéficions également de l’existence de ses importantes institutions régionales et sous-régionales au sein de l’Europe, telles que l’OSCE et le Conseil de l’Europe. Mais dans chacun d’eux, nous sommes confrontés à des tensions fondamentales et à des pressions fondamentales, de la pénétration et de la corruption au Conseil de l’Europe, aux défis de la sécurité européenne au sein de l’OSCE et aux caprices existants de l’OSCE.

Ensuite, si nous continuons, nous avons d’autres plateformes de coopération en évolution que nous devons évaluer, comment pouvons-nous les absorber et les combiner afin de garder notre architecture de sécurité nationale consolidée et qui m’amène à la question évidente, « quelle est notre architecture de sécurité nationale? » Nous sommes une nation qui, tout en obtenant son indépendance, y est entrée avec un certain héritage. Nous avons le conflit non résolu du Haut-Karabakh et nous avons notre voisin l’Azerbaïdjan avec qui nos relations sont tout sauf amicales. Nous avons la Turquie de l’autre côté, qui est en fait une menace pour la sécurité de l’Arménie, une grande nation qui nie toute relation avec l’Arménie, et avec laquelle nous avons toujours la grande question du déni de justice, la question du génocide. Et tous ces facteurs combinés soulignent le sens profond de la conscience sécuritaire dans nos enjeux et dans nos calculs politiques. Pour cela, nous avons constamment construit une structure complexe de relations avec des partenaires pour consolider notre sécurité. Cela concerne également les liens entre l’Arménie et la Russie avec laquelle nous avons développé une relation fondée sur une alliance, car la Russie est évidemment un acteur régional important et garant de notre sécurité.

Le deuxième pilier de notre architecture de sécurité est l’Union européenne qui a été un autre médiateur très important pour la sécurité grâce à son poids politique. Le dialogue avancé avec l’Arménie et sa participation cohérente est importante pour renforcer les capacités nationales de l’Arménie et de ses institutions qui modèlent le pays.

Les États-Unis ont été un autre acteur régional important. Un acteur qui participe à la sécurité régionale à bien des égards. Par exemple, dans le cas de l’Arménie, cela a été un moyen de dissuasion important contre la menace spécifique pour notre sécurité que nous avons par exemple avec la Turquie. Maintenant, dans ces conditions actuelles, vous comprenez qu’il faut des efforts considérables pour soutenir la consolidation de cette structure.

Nous avons aussi des relations stratégiques avec la Géorgie et l’Iran, avec qui nous avons amélioré nos relations et notre interdépendance en tant que voisins. De toute évidence, dans la situation géopolitique actuelle, il s’agit également de questions où nous pouvons avoir de différents défis pour notre sécurité, mais je pense qu’il est très important de garder l’idée d’interdépendance au nom de la stabilité régionale. C’est une situation très difficile pour nous de pouvoir maintenir l’intégrité de notre sécurité nationale. Nous avons évidemment des relations très importantes dans beaucoup d’autres directions. Nous suivons très attentivement et travaillons avec d’autres partenaires comme la Chine, nous avons des relations importantes avec l’Inde, le Japon, et nous avons un intérêt majeur pour le Moyen-Orient qui est historique et très tangible puisque nous y avons une présence physique importante.

Les Arméniens ont été reconnus pour leur contribution et pour leur capacité à construire des relations civilisationnelles, un dialogue civilisationnel entre les nations, entre les religions. Nous avons une bonne expérience de vivre ensemble entre l’islam et de la chrétienté, à travers l’Iran et à travers d’autres pays, le peuple arabe et les nations arabes au Moyen-Orient. Et nous avons en effet construit notre politique étrangère dans ce contexte. La notion de valeurs dans notre politique étrangère est très importante, un fondement essentiel : il y a des valeurs qui sont civilisationnelles ; nous connaissons notre rôle, nous connaissons notre histoire, notre patrimoine, notre identité et sa protection, la promotion, le développement de notre identité est évidemment une fonction importante de notre politique étrangère. Et la promotion et l’utilisation de la coopération internationale pour la promotion de nos valeurs, pour les valeurs de notre nation telles que la démocratie et les droits de l’Homme sont également très importants dans la définition de notre politique étrangère. Protéger les intérêts arméniens dans ce monde en mutation est la ligne directrice de notre politique étrangère. Promouvoir les intérêts et les capacités de l’Arménie pour son programme de développement est un autre aspect très important. Par développement, je veux dire la sécurité, quand je veux dire la sécurité, bien sûr, la sécurité physique est une chose qui est immédiatement comprise par tout le monde puisque la sécurité nationale penche toujours vers les conditions de sécurité très difficiles. Mais la notion plus large de sécurité exige aussi le développement d’instruments et de fonctions qui visent à consolider nos capacités nationales de développement, les capacités institutionnelles nationales, par exemple, lorsque la révolution de velours s’est produite en Arménie en avril-mai 2018. La période allant d’avril à mai a été la manifestation d’une extraordinaire revendication de valeurs, une révolution non violente et pacifique menée par le peuple. Mais pourquoi était-ce possible en Arménie ? Pourquoi avons-nous eu la capacité d’absorber le choc d’un changement aussi fondamental ? C’est l’aptitude de toutes nos institutions. Cette capacité a été mise à l’épreuve pendant la révolution, la capacité d’absorber le choc, ainsi que l’attitude de la société civile, des médias et de toutes les autres institutions nationales. Fait intéressant, le Premier ministre a été élu le 8 mai 2018. Et le 9 mai 2018, les gens se sont réveillés, se sont mis au travail et ont poursuivi leur vie quotidienne. C’est un test très important pour la capacité d’absorber un choc. C’était aussi un signal de maturité politique et juridique dans une large mesure. Vous n’arrêtez jamais de construire une démocratie, comme nous le savons d’autres segments d’une démocratie peuvent faire face à d’autres défis et donc ceci est un défi permanent. Et c’est pourquoi je dis que les valeurs partagées font face à différents degrés de défis, dans les différentes parties du monde.

C.G. : Merci, c’est une réponse très complète.

Z.M. : Et le point fondamental ici est que le plus grand défi est notre capacité à combiner ces différentes dimensions de nos priorités en matière de politique étrangère. C’est un exercice conséquent, mais le principe important est de ne jamais susciter de conflits entre nos partenaires tout en poursuivant nos priorités en matière de politique étrangère. Nous visons à établir des relations avec nos partenaires ; il s’agit d’une fonction très difficile étant donné le degré de désaccord entre nos partenaires. Il faut beaucoup d’efforts de notre part pour établir des relations avec l’un de nos partenaires et jamais aux dépens d’un autre partenaire.

C.G. : Mais c’est probablement au cœur de la notion de souveraineté. Et c’est si difficile à maintenir, à garder.

Z.M. : Absolument et je suis très reconnaissant que vous parliez du cœur de la notion de souveraineté parce que c’est aussi ce que nous essayons de présenter à nos partenaires en ce que notre politique étrangère est strictement et seulement pro-arménienne. Très souvent, nous devons aborder les différents commentaires selon lesquels nous sommes favorables à un partenaire ou à un autre. Et nous insistons à dire que, quoi que nous fassions, au cœur de nos calculs, au cœur de notre politique, notre action va dans le sens des intérêts des Arméniens. Et pour cela, nous sommes prêts à nous engager avec chacun de nos partenaires pour leur expliquer ce que nous faisons et ce que nous ne faisons pas.

C.G. : Je suis personnellement convaincu que la coopération repose sur des souverainetés différentes qui parlent ensemble et tentent de trouver un terrain d’entente qui est compliqué à expliquer aujourd’hui dans cette soi-disant modernité, la modernité politique qui est aussi une sorte de faiblesse. Nous avons une solution politique surtout en Europe qui confond modernité, faiblesse et refus de penser du point de vue de l’intérêt national pour paraître modernes; mais c’est une contradiction.

Z.M. : Le Premier ministre a fait un point très explicite à New York dans son discours à l’Assemblée générale [de l’ONU] qui reflète très bien nos observations au cours des 18 derniers mois depuis la révolution. Ce qui s’est passé en Arménie en avril-mai 2018 a été un événement strictement arménien.

C.G. : Pas associé à des mouvements dans le monde arabe, en Afrique, ce n’était pas quelque chose comme au Soudan, en Algérie? Vous ne pensez pas que cela faisait partie de ce grand mouvement?

Z.M. : Eh bien, regardez, avant le printemps arabe, les révolutions de couleur ou toute autre révolution, l’Arménie avait connu des protestations… En fait, nous plaisantons parfois avec nos amis français sur ce qui nous rend très semblables – nous sommes des sociétés de protestation. L’histoire de la protestation arménienne a commencé avant que quoi que ce soit d’autre ne se passe dans d’autres régions. Nous avons connu d’importantes manifestations en 1995, 1996, 1998, 2003, 2008, avec le bilan tragique de dix morts en 2008. Vous savez, chaque fois que nous avons eu tous ces grands défis, les défis aux élections, les défis liés à la corruption, les défis liés à l’injustice, ils se sont tous reflétés dans les rues d’Arménie. Nous avons également connu des manifestations en 2015 – les protestations d’Erevan Électrique qui ont constitué en fait un tournant très important parce que, c’est ma propre analyse, nous avons connu dans le passé des protestations plutôt de nature bolchevique qui se traduisaient par « À bas la situation actuelle ; nous allons construire un avenir heureux ».

Electric Erevan a révélé une nouvelle génération du peuple arménien, une nouvelle génération de jeunes qui sont sortis dans les rues et ont dit : «Nous avons des demandes très spécifiques, qui sont de nature sociale, économique, et nous sommes strictement dans les limites de la loi et nous résoudrons les problèmes strictement dans les limites de la loi.»

La révolution de 2018 a été essentiellement l’évolution de cette quintessence à ce niveau où la révolution se produisait non pas au mépris du cadre institutionnel de la nation, mais sur l’exigence de la nation dans le cadre de ces institutions, revendiquant des valeurs telles que la démocratie, les droits de l’Homme, etc. C’est cela la différence ; la révolution n’est pas sortie du néant. Si elle était sortie de nulle part, j’ai de sérieux doutes qu’elle serait restée pacifique et non violente. Mais nous avons insisté sur le fait et nous continuons à souligner que c’est une question strictement arménienne. Le seul drapeau qui était visible pendant la révolution était le tricolore arménien. Mais nous avons exactement ce défi, et le Premier ministre l’a formulé dans son discours à l’Assemblée générale (de l’ONU), sur lequel nous avons réfléchi et sur lequel nous avons patiemment insisté. J’insistais la plupart du temps sur la patience, car nos intentions sont claires et articulées, que ce que nous avons fait jusqu’à présent en Arménie est notre travail intérieur : c’est ce que nous voulons pour notre nation et pour lequel nous avons un large mandat du peuple.

En ce qui concerne la politique étrangère, nous devons être très fermes pour préserver l’intégrité de notre sécurité nationale.

C.G. : Cela m’amène à une autre question. Vous parliez d’une plate-forme et puisque je suis ici et que je suis allée aussi en Artsakh, j’ai pensé que l’un de vos principaux défis devrait être de transformer d’abord votre image, deuxièmement, le rôle de l’Arménie, qui est passée d’un problème à une plate-forme de solutions et à un centre de résolution des conflits. Cela pourrait être très constructif. D’une part, les États-Unis vous demandent de mettre fin aux relations avec l’Iran. D’autre part, vous avez la Russie qui demande aussi quelque chose et donne des armes à l’Azerbaïdjan. Donc, vous êtes au milieu des jalons. Et peut-être vous pourriez simplement vous lever et dire en tant qu’État souverain : Nous pouvons aussi être une boîte à outils très importante et une plate-forme précieuse pour le dialogue et la coopération non seulement sur nos problèmes spécifiques, par exemple avec l’Azerbaïdjan et la Turquie. Tout est à nouveau en jeu en Europe, en Asie centrale et en Eurasie. Pour la Russie bien sûr, pour la Chine via ses projets de la Route de la soie. Vous pouvez changer complètement l’image de l’Arménie et le problème d’Artsakh, un problème compliqué. Les gens devraient venir parler en tant qu’États souverains avec des objectifs souverains, des préoccupations souveraines bien sûr, mais avec, comme vous l’avez dit, le souci de ne pas rester au milieu.

Z.M. : Ce n’est pas quelque chose où nous sommes exclusifs dans cette fonction, car nous sommes également contributeurs à un programme global de coopération, d’action collective, d’effort conjoint de coopération, à bien des égards. C’est là que je voudrais à nouveau souligner le pouvoir du multilatéralisme. Il y a de nombreux niveaux ; mondial, régional, inter-régional, de nombreuses thématiques y sont traitées. Et en cela, si vous suivez la manière dont des questions spécifiques, qui sont d’une importance particulière pour l’Arménie, y sont traitées, elles reflètent très bien nos priorités nationales et elles sont exactement les façons dont nous croyons fermement qu’il est important pour chaque nation de coopérer les unes avec les autres, afin que nous obtenions de meilleurs résultats et d’harmonie dans les relations entre les nations, et donc que nous nous aidions également les uns les autres pour atteindre les objectifs nationaux. Par exemple, vous avez déjà mentionné l’Union européenne, mais pour notre programme de développement, nous appliquons un cadre multilatéral tel que l’Union économique eurasienne qui accorde un libre accès à 200 millions de consommateurs et c’est l’occasion de travailler ensemble sur des modalités qui amplifient la coopération. Nous travaillons en tant que nation, nous travaillons à attirer d’autres pays dans la coopération. Par exemple dernièrement avec le sommet de l’UEE en Arménie, où Singapour a signé deux accords spécifiques sur la coopération avec l’UEE, attirant la coopération entre l’Union africaine et l’Union eurasienne, attirant l’attention de l’Égypte et de Serbie et de l’Iran, etc.

C.G. : Qu’en est-il de l’OCS (Shanghai Cooperation Organization)?

Z.M. : Vous savez que nous avons un statut d’observateur là-bas. L’Organisation de coopération de Shanghai a été construite à des fins spécifiques pour que les pays de la région s’attaquent aux défis communs. Nous avons par exemple, comme je le disais, l’Union européenne avec laquelle nous travaillons de manière intense sur de nombreuses questions liées à notre programme national. L’Union européenne est un partenaire très important pour l’Arménie, pour promouvoir nos capacités nationales selon un modèle qui, selon moi, est très important pour nous. Nous abordons également les thématiques dont nous essayons de promouvoir la coopération, c’est-à-dire le rôle de l’innovation et du développement des technologies de l’information, le développement intelligent pour la nation et ici nous sommes très actifs à la fois sur une plateforme mondiale, au niveau régional et sous-régional, et aussi en relations bilatérales. Le salon WCIT 2019 a eu lieu en Arménie et c’est seulement une partie de l’histoire. Nous sommes des contributeurs très importants à la coopération internationale dans la prévention des atrocités et nous disposons d’une plate-forme spécifique pour cela : le Forum mondial contre les crimes de génocide. En fait il ne s’agit pas d’un programme bilatéral ; c’est notre contribution mondiale, depuis plus de 20 ans, nous développons notre programme mondial, nos capacités internationales à prévenir les atrocités, à travailler intensivement avec diverses nations, à l’échelle régionale, et nous avons de nombreux contributeurs en matière de maintien de la paix dans de nombreuses régions du monde. Il s’agit d’une liste très limitée des différentes manières dont nous travaillons au niveau mondial pour contribuer à la résolution des conflits, et c’est une partie très importante de notre travail.

C.G. : Sur le conflit du Haut-Karabagh?

Z.M. : Tout d’abord, nous appuyons fermement le format existant au règlement pacifique avec la médiation de la coprésidence du Groupe de Minsk de l’OSCE. Il y a des raisons très claires à cela : nous avons la France, la Russie et les États-Unis comme co-présidents, tous trois sont des acteurs internationaux importants ayant le pouvoir politique nécessaire, des membres permanents et éminents du Conseil de sécurité, avec la connaissance, la compréhension, la présence dans la région pour contribuer à la sécurité régionale. Ils ont l’expérience politique et diplomatique nécessaire, les connaissances, les instruments à fournir et à fournir une médiation efficace.

Fait intéressant et plus important encore, ces trois pays peuvent avoir des points de vue différents sur diverses autres questions de relations internationales, mais dans ce format, nous apprécions absolument leurs efforts conjoints. Nous travaillons à une résolution pacifique. Ils ont tous l’expérience, la capacité et la volonté nécessaires. Depuis 25 ans des efforts importants ont été faits et maintenant c’est aux parties de parvenir à un accord. La médiation de l’OSCE est très importante pour atteindre cet objectif. Ce format a évolué avec des analyses très profondes et significatives, la compréhension de divers paramètres et approches.

C.G. : Pensez-vous qu’un jour l’Azerbaïdjan adoptera une position plus douce avec quelque chose à donner, à offrir, qui serait positif concernant l’Artsakh et aussi l’Arménie?

Z.M. : Il ne peut y avoir de solution qui convienne aux intérêts d’une seule partie et l’autre chose importante est qu’il ne peut y avoir de solution autre que le règlement pacifique. Nous avons été très explicites sur ce point – le langage des menaces ne nous impressionne pas, et cela ne va pas fonctionner.

C.G. : Alors, que souhaitez-vous dire sur la nature du conflit?

Z.M. : Au cœur de ce conflit se trouve l’être humain, un être humain très réel, avec un visage, un nom, une maison, une famille, une terre, où ils vivent, ils travaillent. Et quand vous êtes en Artsakh, vous avez un sentiment très profond de ce que nous entendons par un être humain, qui n’est pas différent de tout autre être humain ; seulement leur sécurité existentielle, physique, est sous une menace directe. Et les raisons de nos préoccupations sont précisément motivées par la politique de l’Azerbaïdjan. Il y a eu une guerre en 1991-1994, dans un contexte où 40 % de la population [Arménienne] du Haut-Karabagh était nettoyée, anéantie, et 40 % du territoire était contrôlé par l’Azerbaïdjan. Il y a eu une défense [arménienne] réussie et il y a un arrangement de sécurité qui est le seul système existant qui assure la sécurité : il n’y a pas d’autre arrangement, un arrangement international pour assurer cette sécurité. L’Arménie a été et reste le seul garant de la sécurité d’Artsakh.

Peut-il en être autrement ? Non, parce que, comme je le dis, 150 000 d’Arméniens en Artsakh sont essentiellement les gardiens pour sécuriser l’identité arménienne étant donné la situation après le cessez-le-feu de 1994. Nous avons eu depuis la menace constante et persistante, parfois de l’escalade et des tentatives pour réviser l’accord de 1994, par de multiples violations du cessez-le-feu. Aussi, la chose la plus préoccupante est la propagande anti-arménienne qui est constamment menée par les dirigeants de l’Azerbaïdjan. La quintessence de cette politique est le cas de Ramil Safarov, un officier azéri qui, en 2004, participait à une formation « partenariat pour la paix » organisée par l’OTAN à Budapest, avec d’autres personnes, dont un officier arménien, Gurgen Margaryan. Au milieu de la nuit, Ramil Safarov est entré par effraction et a tué à la hache en décapitant l’officier arménien dans son sommeil. Il a été jugé en Hongrie, il a été condamné à perpétuité et a commencé à purger sa peine en Hongrie. En 2012, par le fait d’un accord très obscur entre M. Orban et M. Aliyev, M. Safarov a été transféré en Azerbaïdjan. Et ce n’est que le début de l’histoire parce qu’en Azerbaïdjan il a été reçu comme un héros national et glorifié pour avoir tué un Arménien. C’est effrayant. Et cela donne une raison de prétendre qu’il existe une menace physique et existentielle pour le peuple du Haut-Karabagh. Avril 2016 a également été un rappel de l’agression, et un rappel que nos préoccupations, au sujet des menaces physiques et existentielles de sécurité, sont très tangibles. Et puis toute menace pour ces 150 000 Arméniens va être un défi, un mal, un dommage au sentiment d’identité pour tous les Arméniens, qu’ils soient à Los Angeles, à Paris, à Moscou, à Beyrouth ou ailleurs. Parce que nous sommes toujours une nation qui traverse le difficile défi concernant le refus d’une justice liée au génocide [de 1915].

C.G. : Pensez-vous que ce serait une bonne idée d’inclure Artsakh dans le processus de Minsk?

Z.M. : C’est une question pratique. Nous n’en avons pas fait une condition préalable, mais nous avons dit très clairement qu’il s’agit d’une question pratique importante : nous ne pouvons pas avoir une solution élitiste, parce que nous sommes une nation différente. Nous ne pouvons pas avoir des dirigeants sortir de négociations en signant un accord et l’imposant ensuite au peuple. Nous sommes différents, vous savez, donc les approches élitistes ne vont pas fonctionner dans notre cas. Nous sommes un gouvernement qui a un mandat fort de la part du peuple, nous négocions au nom des gens qui nous ont donné ce mandat, et les gens qui sont en Arménie. Vous ne pouvez pas vous attendre à ce que nous fassions un marché et que nous allions ensuite en Artsakh pour dire : « C’est tout, c’est fini. ». Maintenant, certains peuvent nous dire : « Mais vous pouvez les forcer à accepter cela, en leur retirant votre soutien ». Croyez-moi, aucun gouvernement ne survivra 5 minutes après cela, pas seulement par la pression venant d’Artsakh, mais aussi par la pression de leur propre population d’Arménie qui leur a donné ce mandat. C’est donc une question pratique. La solution appartient à l’Artsakh (Haut-Karabagh), à l’Arménie et à l’Azerbaïdjan. Si nous refusons l’idée de l’appartenance de la solution à l’Artsakh, nous arrêterons pratiquement le processus.

C.G. : Seriez-vous d’accord si je dis que nous avons une certaine expérience depuis les années 1990 dans le dialogue entre l’Arménie et la Turquie mais quand il y a un discours de haine en Azerbaïdjan, il est très difficile d’amener les gens à la table du dialogue?

Z.M. : C’est pourquoi, dans notre approche, nous avons souligné les priorités absolues de la sécurité et la question consubstantielle du statut comme une question très importante. Une priorité absolue pour l’Arménie : la sécurité et le statut. Nous avons également souligné qu’il n’y a pas d’alternative à un règlement pacifique. Nous avons en fait deux priorités et questions très importantes à traiter : l’une est la poursuite des travaux sur la réduction des risques de l’escalade – et il y a des propositions spécifiques à ce sujet – et aussi que nous devrions travailler à revoir la rhétorique et à nous engager dans une action qui prépare nos peuples respectifs à la paix. Le leadership des pays, le discours qui est animé par les dirigeants devraient également être tels qu’ils utilisent le langage du compromis et de la paix. Si le vocabulaire est : « ma voie ou rien » alors il est maximaliste et est conduit seulement par des considérations de jeux de pouvoir internes…

C.G. : Et pensez-vous qu’en Azerbaïdjan il pourrait y avoir un changement pour produire des positions non pas par le haut vers le bas, mais de la société civile vers le haut et d’utiliser ce processus de «bas en haut» lors de conférences ou d’autres forums?

Z.M. : Vous comprenez très bien que leur pays a sa propre raison d’être, alors peut-être que « du haut vers le bas » est plus important pour eux.

C.G. : Oui, mais ils auraient dû… Si nous voulons réussir, nous devrions probablement avoir quelque chose à offrir.

Z.M. : Malheureusement, nous n’avons rien entendu de nouveau dans les dernières déclarations de M. Aliyev.

C.G. : Peut-être la position russe devrait-elle évoluer pour faire pression sur eux?

Z.M. : Et bien, je pense que c’est là que je dirais encore une fois que les co-présidents, chacun à leur façon, et ensemble, ont un rôle à jouer.

C.G. : Au sujet de la rivalité, je voudrais avoir votre évaluation sur la rivalité chinoise – russe dans le Caucase et en Asie centrale, parce qu’elle semble être réelle. En ce qui concerne l’Eurasie et la coopération économique, elles existent. Mais derrière, comme vous l’avez dit, des objectifs nationaux très différents, l’état d’esprit national et des enjeux. Que pensez-vous à ce sujet?

Z.M. : Dans ma position, je pourrais dire que le même principe d’insister sur la coopération plutôt que sur la confrontation est bon.

C.G. : Indépendance énergétique par exemple?

Z.M. : L’indépendance énergétique est évidemment une question très, très importante pour nous et elle fait partie de notre politique globale d’architecture de sécurité nationale consolidée qui combine et qui comprend également en elle, la question de la sécurité énergétique, de la diversité énergétique et de la collectivité. Évidemment, pour cela, nous travaillons partout.

Pour plus d’informations sur ce voyage :

http://geopragma.fr/wp-content/uploads/2020/02/Pages-de-Book-EO29-83-958489-2.pdf

Pour consulter l’intégralité du numéro 29 de la revue Europe et Orient de juillet/décembre 2019 :

https://edsigest.blogspot.com/2019/11/eo-29-le-monde-dans-un-jeu-de-go.html et https://europeetorient.blogspot.com/

Geopragma adresse tous ses remerciements aux Editions SIGEST pour leur aimable contribution à la réalisation de ces interviews.

*Caroline Galactéros, Présidente de Geopragma

 

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